lundi, janvier 14, 2008

Oppression nocturne.

Angoisse. Ce mot s’est installé dans mon vocabulaire à l’époque où je fréquentais, par écrans interperposés, des demoiselles consommatrices d’anxiolytiques.
Du coup, je ne sais jamais si ce qu’il y a à l’intérieur, c’en est vraiment ou pas. (Et ça n’a aucune importance.)

Toujours est-il qu’heureusement que demain midi, on ne commence pas par le TP de neuro où il faut être passé par le royaume de Morphée pour avoir un tracé exploitable. (Oui, on branche des électrodes sur nos semblables. Parait même que c’est amusant.)

Cette nuit, l’écho se sera imposé de lui-même, en même pas deux clics.



Marie-Claude Pietragalla, extrait de Sakountala.


jeudi, janvier 03, 2008

...!...



« J’ai poussé des cris, beaucoup de cris, et de vrais cris.
Non pas parce que j’avais faim, ou soif, ou mal, mais parce que je commençais à vouloir «parler», parce que je voulais m’entendre et que les sons ne me revenaient pas.
Je vibrais.
Je savais que je criais, mais les cris ne voulaient rien dire pour ma mère ou mon père. C’étaient, disaient-ils, des cris aigus d’oiseaux de mer, comme une mouette planant sur l’océan.
Alors, ils m’ont surnommé la mouette.
Et la mouette criait au dessus d’un océan de bruits qu’elle n’entendait pas, et eux ne comprenaient pas le cri de la mouette.

(…)

De ma petite enfance, les souvenirs sont étranges.
Un chaos dans ma tête, une suite d’images sans relation les unes avec les autres, comme des séquences d’un film montées l’une derrière l’autre, avec de longues bandes noires, de grands espaces perdus.
Entre zéro et sept ans, ma vie est pleine de trous.Je n’ai de souvenirs que visuels.(…)
Avenir, passé, tout était sur une même ligne de l’espace-temps.

(…)

J’ai vécu dans le silence parce que je ne communiquais pas. Ce doit être ça, le vrai silence ?
Le noir complet de l’incommunicable.(…)
Le silence a donc un sens qui n’est qu’à moi, celui de l’absence de communication.
Autrement, je n’ai jamais vécu dans le silence complet. J’ai mes bruits personnels, inexlicables pour un entendant. J’ai mon imagination, et elle a ses bruits en images.
J’imagine des sons en couleurs.
Mon silence à moi a des couleurs, il n’est jamais en noir et blanc.
Les bruits des entendants sont aussi en images, pour moi, en sensations.
La vague qui roule sur la place, calme et douce, est une sensation de sérénité, de tranquillité. Celle qui se hérisse et galope en faisant le gros dos, c’est la colère. (…)
La lumière est importante, j’aime le jour, pas la nuit. (…) Avec mes yeux, dans la lumière, je peux tout contrôler. Noir est synonyme de non-communication, donc de silence.
Absence de lumière : panique.
(…)
Parfois mes parents m’expliquaient qu’ils allaient sortir. Pour moi, c’était un départ, un abandon.
Les parents disparaissaient et revenaient.
Mais allaient-ils revenir ? Quand ?
Je n’avais pas la notion de quand. Je n’avais pas les mots pour leur dire, je n’avais pas de langue, je ne pouvais pas exprimer l’angoisse.
C’était l’horreur.
(…)
Des yeux et le corps pour enregistrer la sensation.
Je me rappelle le ventre. Ma mère est enceinte de ma petite
sœur, je sens très fort les vibrations. (…)
J’aime aussi le ventre de mon père, le soir, quand il discute avec des amis, ou avec ma mère. Je suis fatiguée, je m’allonge près de lui, la tête contre son ventre, et je sens sa voix.
Sa voix passe par son ventre et je sens les vibrations. Ca me calme,
ça me rassure (…)

Quand il a su que j’étais sourde, il s’est tout de suite demandé comment je
ferais pour entendre la musique.
En m’emmenant aux concerts, toute petite, il voulait me transmettre sa
passion, ou alors il « refusait » que je sois sourde ?
Moi, je trouvais ça formidable.
Et c’est toujours formidable, qu’il n’ait pas mis d’obstacle entre la musique et moi. (…)
Et je crois que je percevais profondément la musique ; pas avec les oreilles : avec mon corps.
(…)
Un soir, mon oncle Fifou, qui était musicien, jouait de la guitare. (…) Il veut me faire partager la guitare. Il me dit de mordre dans le manche. Je mords, et il se met à jouer. Je ressens toutes les vibrations dans mon corps, les notes aigues et les notes basses.
La musique entre dans mon corps, elle s’installe, elle se met à jouer à l’intérieur de moi.
Maman (…) essaye de faire la même chose, mais elle ne supporte pas.
Elle dit que ça lui résonne dans la tête.
Il y a encore la marque de mes dents sur la guitare de mon oncle.
(…)
Certains parents d’enfants sourds se disent que ce n’est
pas la peine, ils privent l’enfant de la musique. Et certains enfants sourds se
moquent de la musique.
Moi j’adore. Je sens les vibrations. (…)
Les trompettistes qui gonflent leurs joues. Les basses. Je sens avec les pieds, avec
tout le corps si je suis allongée par terre. (…)Les pieds nus sur le sol,
accrochée aux vibrations, c’est comme ça que le vois, en couleurs.
Le piano a des couleurs, la guitare électrique, les tambours africains.

(…)

La musique est un langage au-delà des mots, universel. C’est
l’art le plus beau qui soit, il réussit à faire vibrer physiquement le corps
humain. (…) [Son] champ est très vaste, immense.

Souvent, je peux m’y perdre. C’est ce qui se passe à l’intérieur du corps.
Ce sont des notes qui se mettent à danser. Comme le feu d’une cheminée. Le feu qui rythme, petit, grand, petit, plus vite, plus lent… Vibration, émotion, couleurs en rythme
magique.

(…)

La danse, c’est dans le corps. Adolescente,j’adorais sortir en boîte de nuit avec mes copains sourds. C’est le seul endroitoù l’on peut mettre la musique à fond sans se soucier des autres.
e dansais toute la nuit, le corps collé contre les enceintes, le corps vibrant avecle
rythme. Les autres, les entendants, me regardaient, étonnnés. Ils devaient penser que j’étais folle. »



Le cri de la mouette, (extraits des chapitres 1 à 4), Emmanuelle LABORIT.


Voilà. L’instrument comme « liant pur », c’est exactement à ça que je pensais quand je voulais m’orienter vers la musicothérapie. (Puis, la réalité m’a rattrapée.)

En lisant ces passages, j’ai repensé à mon premier cours avec mon ancien guide-violoncelliste. On s’est installés, et pour illustrer la première leçon « La tenue de l’archet », il s’est mis à jouer quelque chose. Sauf que nos violoncelles étaient face à face, et donc, ses vibrations sont venues se répercuter sur mes cordes. Et moi (comme je suis nulle en physique et parfois quelque peu… naïve, dirons-nous), je ne m’y attendais pas du tout.
Des sensations qui s’imposent, comme ça, d’un coup, et qui vous submergent complètement.
Comme commencement, je ne pouvais pas rêver mieux.

Pourquoi ne pas essayer de rendre ces sensations accessibles (d’autant plus que leur proprioception doit être particulièrement développée) à ceux qui ne peuvent pas entendre la musique ?

Une approche ‘primitive’ de la musique, peut être.
Juste rechercher un mieux-être et/ou à s’exprimer. Prendre le temps, (s’)écouter, ressentir chaque son. Retrouver un rapport simple aux choses, pour pouvoir l’étendre à d’autres dimensions. Tant pis si ce n’est pas de la musique à proprement parlé, un enchainement de notes/rythmes/nuances, dont le résultat est plaisant à entendre. (Surtout que là, ils l’entendront pas…)

L’exemple type de ce que je rejette en bloc : les auditions des conservatoires.
Vous êtes là, tremblant(e) sur votre banc, en vous disant que c’est bientôt votre tour, et que le directeur, là tout près du piano, il va faire la grimace à chaque fausse note. Et que vos parents, dans la salle, ils vont avoir très envie de se cacher sous leurs sièges.
Parce qu’on est plus des petits humains, mais des petits robots que l’institution en question espère bien programmer. Pas le droit à l’erreur.
Pas de notion de plaisir ou de partage, ou tellement peu. Principalement de la performance, et bien souvent, de la compétition.

La fois où, à la fin du primaire, un… euh, je sais plus comment on les appelle… Vous savez, le titre qui vous est généreusement accordé, quand vous décrochez une licence de musicologie. A la fin d’un morceau, après beaucoup d’hésitations, je lui avais demandé combien de noires il y avait par mesure. Il m’avait répondu qu’on s’en fichait. (Un grand choc.)
J’ai longtemps pensé que c’était ça, et uniquement ça, la musique : de la technique, de la performance.

Un rejet pour mieux y revenir plus tard.
Je peux même dire qu’aujourd’hui, la musique est mon ‘principal liant’. Je constate souvent que je suis incapable de (re)créer un lien, si la personne en face n’a pas de… sensibilité musicale. A un tel point que je frise l’intolérance, parfois…

Quelques doutes, quand même.
Comme le but ne serait évidemment pas de leur poser des limites d’emblée, en expliquant qu’on doit se servir de l’archet, et qu’il doit être tenu de telle manière etc, mais de les laisser explorer, forcément, faut penser aux éventuels risques pour l’instrument… (Willow n’est pas assuré ^^)
Rajoutons que j’ai beaucoup de respect pour les instruments (oui, c'est possible !), que j’ai tendance à humaniser tous ceux qui sont faits de bois.
M’enfin, j’ai un minimum confiance en la nature humaine…
Je me demande surtout si on va me prendre au sérieux. Petite étudiante en psycho et violoncelliste en herbe depuis tout juste un an, et très peu d’expérience avec un « public handicapé sensoriel ».
(J’éviterai de présenter les choses comme ça, hein…).
Et si j’ai des bases assez solides pour réussir à faire passer ce que j’aimerais, et qui est pour le moment trop abstrait...


Le retour risque d’être beaucoup trop riche pour être gérable seule. Trouver d’autres instrumentistes (et/ou non instrumentistes), pour quelque chose d’aussi particulier, en sachant que la monnaie d’échange ne sera pas l’euro… Je crois que l’idéal du deuxième violoncelle, déjà, je peux oublier !
Et puis, la question essentielle : est ce que des personnes sourdes ou malentendantes seraient réellement intéressées ?
(J'ai pas encore commencé à contacter d'assoc', j'attends d'être un peu plus près du sol.)

Pour rester dans le paradoxal, ça m’a l’air à la fois utopiste et réalisable. Je sais pas où/quand/comment, mais j’y crois. [Tout comme il y a deux ans et demi]

Il y a aussi que ce sera(it) un clin d’œil à la demoiselle-jongleuse, qui parlait souvent de dépasser la barrière de la parole… Moi ça ne sera pas la langue des signes.

Réduire les différences grâce à la musique, enfin, plus exactement, aux vibrations.

C’est vraiment très frais, tout ça. Juste eu un tout premier retour du monsieur encore plus loin que d'habitude, et des premiers tests de vibrations willistiques sur autrui -> mon frère.

Vous êtes arrivés au bout ? Félicitations ! Sauf que, ce n'est pas tout à fait terminé... La raison pour laquelle j’ai appuyé sur « publier », c’est que j’aimerais bien avoir d’autres retours.
Avis, réticences, d’autres idées à greffer… Bref, le champ est libre !

Et, si jamais y a quelqu’un d’intéressé, de quelque manière que ce soit... :)