vendredi, juin 13, 2008

Une banale histoire d’asymétrie : nous debout les mains dans les poches, lui avachi par terre.

Mercredi, lors d’une pause (ou plutôt, d’un acte suicidaire) avec une demoiselle-collègue et surtout amie, on s’apprêtait à rentrer sagement chez nous pour nous remettre à nos devoirs d’étudiantes, lorsqu’un monsieur, qui marchait en sens inverse, nous a coupé dans notre bref élan de motivation.
Il voulait qu’on appelle un foyer pour SDF, qu’ils viennent le chercher.
A notre « on n’a pas le numéro, comment vous voulez qu’on appelle… » il a rétorqué « vous pouvez allez demander l’annuaire au café, à côté ? S’il vous plait... »
Un peu moins naïve de base que d’habitude (eustress), je lui ai demandé pourquoi il ne pouvait pas aller le demander lui-même, l’annuaire. « Vous savez, moi j’suis un SDF. Ils s’en foutent, eux, vous savez. J'suis SDF. J’suis rien. »
Et puis, il a soulevé son pantalon pendant que je lui disais « non non, c’est pas la peine », laissant voir sa jambe gauche, entre rougeâtre et violette.

Plus les secondes de contact défilent, et plus vous vous sentez impliqué(e)s.

« S’il veut pas se déplacer, c’est qu’il fait le fainéant. Nous on se déplace pas. »
Alors, avec Melle C., on est allées demander au monsieur (qui de debout était passé à avachi sur une marche) s’il voulait qu’on appelle le samu social.
« Ben d’accord, mais j’veux pas aller à l’hôpital hein, dites leur bien, surtout pas l'hôpital, j’veux aller au foyer, pas à l’hôpital. »
Il a eu le temps de nous demander trois fois une cigarette, la seule chose ait dit à haute et intelligible voix, répondant « Ah, c’est bien ça, vous avez raison » à nos « Non, on fume pas ! »

Bien sûr, le taxi pour SDF, ça n’existe pas.
Après m’avoir demandé son nom, ce qu’il avait, et où il se trouvait, la dame au téléphone m’a dit : « Il faut qu’il attende votre monsieur, y a un bus qui va passer. La tournée vient de démarrer.
- Oui mais, combien de temps ?
- Ah ça j’peux pas vous dire. Peut être d’ici deux heures, mais ça peut être dans la nuit aussi… »

J’ai pas osé lui dire qu’il allait moisir sur son trottoir. Mais il a compris.

En rentrant, j’ai pensé au cours de Régine : elle nous expliquait la désintrication psyché/soma, en l’illustrant avec le cas des SDF qui ne ressentent plus la douleur physique. Et c'est vrai que c'est le premier que je croise qui dit qu'il souffre, physiquement.
Il était surement en train de commencer à la quitter, la rue. Ou alors il y était depuis peu. Ou il utilise d’autres mécanismes de défense. Enfin bref .

J’y pensais plus. Jusqu’à il y a quelques heures, à l’intérieur de l’engin bleu dans lequel on a tout intérêt à se tenir dans les virages.
Un homme allongé par terre, très pâle. Deux autres personnes debout, s’approchant de lui avec une couverture de survie.
A 200 mètres de là où on l’a laissé mercredi.

Evidemment, le temps de se dire "merde" , de réfléchir, tant pis, l’acculturation attendra un peu plus, d’entendre les sirènes, d’appuyer sur « arrêt demandé » et de faire demi-tour, les pompiers étaient déjà repartis.
Plus aucune trace, rien.

Comme le monde est petit, il n’est pas impossible que ce soit l’externe de mon entretien de recherche qui s’en soit occupé.
Oui, les gens de la rue, ce sont exclusivement les externes qui s’en occupent.
Les internes et les Docteurs (surtout) ont bien trop peur de salir leurs belles blouses blanches.

"T’as pas envie d’y aller parce que c’est de la misère plus que de l’urgence, mais ils sont ouverts, ils ont une grosse plaie là donc va falloir les recoudre… Mais t’as pas envie d’y aller quoi. Tu vas y aller, tu sais que ça va puer, ‘fin…"

Je me dis qu’il n’est pas impossible non plus qu’il soit mort à l’heure qu’il est, et que personne ne connaisse son nom.
Qu’il soit juste un corps non identifié, au niveau moins quatre du CHU.

Vous me direz, y a plein de gens qui sont ramassés par les pompiers ou le samu social, chaque jour.
Sauf que lui, c’est pas « plein de gens », mais Thierry Aubert.
Je lui devais au moins une note.

lundi, juin 02, 2008

Les joies de l'administration, énième acte.

J'ai passé la journée dans des services administratifs divers et variés au lieu d'avancer mes synthèses&dossiers/réviser mes partiels. Trop chouette.

La palme revient bien évidemment aux secrétaires de la fac.
" J'peux passer mes exams avec un passeport périmé et un certificat de scolarité, à la place de ma carte étudiante et carte d'identité ?
- Euh, en théorie, oui...
- Non mais... J'ai un partiel MERCREDI, il faut que que je sois sûre de pouvoir le passer sans problème.
- Ah ben, je sais pas trop. Allez plutôt voir à la scolarité administrative, au fond du couloir.
(...)
-Ah non, j'peux pas vous refaire votre carte sans photo d'indentité.

Et où elles sont les photos d'y a deux ans ? (C'est très pratique, huit d'un coup, vous êtes tranquilles pour un moment [normalement] !) ...Dans mon portefeuille ! Avec toutes les photos, eues à l'usure pour la plupart, que je ne reverrai pas.

Devant le photomathon, j'ai constaté qu'il me restait très exactement trois euros et quatre centimes. Sauf que pour des photos, c'est minimum quatre euros.
Alors, j'ai retourné mon petit chez-moi à la recherche d'un malheureux euro, ou mieux, de photos d'identité.
Et voilà l'aboutissement de vingt minutes de recherche :




Le pire c'est que sur le moment, j'ai pensé "bon ben...Pourquoi pas ?!"
Et puis j'ai mieux regardé.
Ma tête bizarroïde, les moustaches de lait (comme quoi, le photographe, il faisait vraiment ça à la chaine, ça lui coûtait rien de me demander si c'était volontaire ou non avant de faire la photo...), et surtout, la robe soigneusement choisie par ma mère... tellement... J'trouve même pas de mot.

Finalement, non. Surtout que ça devrait aussi me servir pour ma future nouvelle carte d'identité.
Y a un collègue qui doit passer, je vais devoir le raquetter. Plus le choix. Et demain, je lui apporte sa putain de photo.

dimanche, juin 01, 2008

*


Extrait du DVD « Têtes Raides: Aux bouffes du Nord» (Tôt ou Tard/Warner 2003)


Heureusement que sous le chapiteau, le mois dernier, c'était pas ça. Sinon je crois bien je ne me serais jamais remise du « Et, c’est tout ! »

Quand le sort s'acharne.

Depuis jeudi, où un grand monsieur de la psycho sociale m'a annoncée le plus naturellement du monde que le dossier "non non, c'est pour le 5, pas le 12" (plus assez de ressources pour en rire nerveusement, ma binôme s'en est chargée à ma place), descendre des escaliers me demande un gros effort de concentration.

Le mois le plus merdique de ma courte existence touchant à sa fin, je pensais qu'enfin... Mais non. Il fallait que le dernier jour du mois ressemble au premier.

Alors que je m'auto persuadais qu' "une anim', ça doit avoir l'air de respirer la joie de vivre. Et puis surtout contenance, contenance...", à 7h30 en prenant un tourniquet du métro, on s'est dit que mon portefeuille ferait un joli butin.


Tout de suite, je me suis demandée comment j'allais faire pour le partiel de mercredi, sans carte d'identité ni carte étudiante.
Une éventuelle solution trouvée, vint le tour de ce qui ne pourra jamais être remplacé : les photos. Là, j'ai senti un début d'effondrement dépressif, assise sur les marches de la mairie de Montreuil.
Subitement, en passant, un monsieur m'a glissée quelques mots narcissiquement gratifiants. Complètement défoncé, le monsieur. Mais sans le savoir, il m'a sauvée.

J'ai pensé à ma fée et à la bague de mamie, qui n'étaient pas dans la petite poche_secrète du portefeuille, comme souvent, mais dans l'étui fuishia d'Houda et à mon annulaire droit.
A la catastrophe que ça aurait été s'ils avaient pris mon sac (appareil photo, tous les poly de JPK, articles pour mon TER, l'étui fushia, des Kinder Chocolat* [dont un lamentalement écrasé au fond, d'ailleurs. Bon ok, les Kinder, c'est secondaire],et surtout, ma boîte à musique moderne).


Et puis, j'ai appelé une demoiselle qui a bien voulu sortir de son lit pour m'accompagner raconter ma petite histoire face à un immense portrait de Sarkozy à l'Elysée (c'est trop top ça.)

Dans l'histoire, j'ai gagné une tarte au citron, un mois dans l'équipe du jeune homme qui m'a pistonnée sans me connaitre; et, parce que "mon prof de kholle est en retard (...)", une bonne heure de liberté-solitaire :




* Pensées pour la demoiselle qui, elle aussi, se shoote au chocolat. J'ai regardé tous les paquets du rayon pour voir quels étaient les nouveaux prototypes de l'Enfant bien comme il faut, selon son sexe et/ou sa couleur de peau.